vendredi 26 février 2010

Mais où sont-ils ?

un extrait de Polynesia

La nuit est là. Nous dînons dans le cockpit. Nous sommes tout près d’un motu dont la plage est déserte. Aucune lumière ne filtre entre les cocotiers. Dans notre univers marin, nous sommes seuls, seuls et heureux à bord du Toa Marama. De l’autre côté du lagon, la masse imposante de Tahaa masque une partie d’un ciel étoilé. Bien plus loin vers le sud, on devine, par quelques lumières qui scintillent, la présence de la grande soeur Raiatea.
Je prends les jumelles et vais m’allonger sur le dos à l’avant du bateau. Je reste ainsi un grand moment à contempler le ciel profond, constellé de tant d’autres soleils.
L’amas des Pléiades Mata ri’i, les petits yeux, scintille de ses feux stellaires bleutés, la Croix du Sud me montre l’un des chemins… ‘apa’apa rua manu, deux côtés d’oiseaux.
Sommes-nous seuls dans l’univers ?
Je pense au paradoxe d’Enrico Fermi : « S’ils existent partout, alors où sont-ils ? » et aux nombreuses hypothèses sur cette existence de civilisations galactiques qui en découlent, et agitent si souvent les chercheurs et les autres. Mon regard bascule de l’infini des cieux vers le mystère d’un environnement immédiat. Ici-même, sur le platier corallien de la barrière, rien ne semble bouger… et pourtant…

Sur ce mur de sable recouvert d’un mètre cinquante d’eau où le Toa Marama se repose, passent parfois des êtres étranges, mi-poissons, mi-oiseaux, qui remontent des fonds tout proches et volent dans les flots. L’homme, dans son incommensurable vanité, oublie souvent que des extraterrestres, on en trouve aussi dans les profondeurs marines.
Et si elles étaient venues pour tenter un contact qui depuis la nuit des temps ne se concrétise jamais.
Nageant dans l’eau sous la lune, je les vois évoluant tels de gigantesques oiseaux nocturnes. Trois mantas belles et gracieuses malgré leur masse impressionnante. Je suis à trois ou quatre mètres d’elles. Elles passent et repassent à la frontière de ce mur de sable qui s’interrompt brutalement et plonge vertigineusement à quarante mètres de fond juste derrière nous. Leur vrai domaine est là. Les mystères des profondeurs du lagon de Tahaa leur vont bien. Sous moi, dans la lumière de l’astre de la nuit, le sable prend des colorations gris perle. Derrière elles, c’est la nuit noire des gouffres marins et je ne les perçois alors que par cette discontinuité qui les caractérise, un dos d’un noir de velours, un ventre et des dessous d’immenses nageoires d’un blanc laiteux, légèrement parsemé de quelques taches sombres.
Les humains ne conçoivent pas d’autres consciences que celles d’hypothétiques extraterrestres plus ou moins anthropomorphes. Pour tenter de les découvrir, ils sondent avec leurs radiotélescopes les mystères du vide intersidéral, sans penser un instant que ceux dont ils espèrent un signe pourraient être déjà parmi nous depuis des siècles. Personne n’a jamais décodé le langage des mantas. Elles s’évertuent pourtant, depuis des lustres, à nous conter leur inconcevable passage. Elles ont quitté les abysses originels d’une lointaine planète océane et maintenant, après un voyage incompréhensible pour nous, tentent avec une patience infinie d’établir le contact. De leurs deux nageoires étonnantes, encadrant leur gueule monstrueuse, émanent des flots d’informations énigmatiques, toute une histoire trop différente de la nôtre, une épopée inhumaine et hermétique à la totalité de nos sens. Aucun de nous ne daigne leur accorder une écoute attentive.
Qui sont-elles ? Quel est donc le message ? Que puis-je répondre ?

Mais où sont-ils ?

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